Thought LeadershipSeptember 21, 2023

Vers la renaissance industrielle française ?

La crise que nous traversons actuellement, sanitaire puis économique, a remis brutalement la question industrielle sur le devant de la scène. Elle a rappelé, à ceux qui voulait l’occulter, la dépendance productive et technologique de la France.
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Par Anaïs Voy-Gillis et Olivier Lluansi co-auteurs de « Vers la renaissance industrielle » Editions Marie B., Paris (2020).

La crise que nous traversons actuellement, sanitaire puis économique, a remis brutalement la question industrielle sur le devant de la scène. Elle a rappelé, à ceux qui voulait l’occulter, la dépendance productive et technologique de la France. Elle a permis une prise de conscience brutale de la profonde désindustrialisation de la France, qui nous rend incapable de couvrir certains de nos besoins dans certains produits.

Il est vrai que la désindustrialisation n’est pas un phénomène uniquement français puisque de nombreux pays européens l’ont subi à partir des chocs pétroliers de 1973 et 1978. La France se différencie par l’ampleur de sa désindustrialisation et symptomatiquement par une balance commerciale négative à la différence de l’Allemagne ou de l’Italie dont la base productive est restée plus dense. Ainsi, la crise actuelle vient questionner nos représentations de l’industrie et la manière dont nous nous sommes insérés dans la mondialisation en faisant le choix d’une société post-industrielle, ce qui a conduit à confier les activités productives à d’autres nations.

Une désindustrialisation obérant la capacité de rebond de l’industrie française

Le tissu productif français a été fortement fragilisé par plusieurs décennies de désindustrialisation et par la crise économique de 2008/2009. La situation actuelle est la résultante du choix, implicites ou explicites, de miser sur une économie du tertiaire, repoussant le fait productif hors de notre nation. Les représentations de l’industrie, qui ont accompagné les années de désindustrialisation et de délocalisations, propageaient ainsi des images négatives. L’industrie était perçue comme sale, has been ou encore faiblement rémunératrice. Afin d’optimiser les coûts, les chaînes de valeur ont été fragmentées avec le souhait de conserver les activités de R&D, de marketing et de commerce dans les pays occidentaux et celui d’externaliser les segments intermédiaires jugés faiblement rentables.

La crise de la COVID-19 a induit une prise de conscience de la forte dépendance de la France avec des images chocs comme celles de soignants portant des sacs poubelles, faute de sur-blouses. La situation d’urgence a rappelé que la France produisait peu des biens indispensables dans la gestion de cette crise. Elle a également souligné notre dépendance technologique et numérique. Aucun des nombreux outils et plateformes digitales utilisés pendant cette période de confinement n’étaient développés par des entreprises françaises ou européennes.

Ces constats issus de la crise ont fait réagir les pouvoirs publics qui souhaitent désormais refaire de la France une puissance industrielle, mais également les industriels, découvrant parfois la fragilité de leurs propres chaines d’approvisionnements fragmentées et sur-optimisées du point de vue du coût.

Au-delà des constats, notre outil productif doit désormais surmonter la crise économique qui l’attend. Des secteurs moteurs de notre économique comme l’aéronautique ou l’automobile ne sortiront pas de la crise avant plusieurs années, ce qui appelle à trouver de nouveaux relais de croissance, tout en les soutenant. Au-delà des plans classiques de soutien aux entreprises et de relance par la consommation, il faudra envisager d’autres moyens pour préserver nos technologies et nos actifs industriels stratégiques d’opérations hostiles ou opportunistes, et trouver des leviers de financements qui prolongent sur le plan du contrôle capitaliste, la souveraineté recherchée au niveau de la production.

Par ailleurs, après la crise sanitaire, puis celle économique qui débute par les annonces des premiers grands plans de licenciement (Daher, Airbus ou encore Renault), le risque sera celui d’une crise sociétale. Si les entreprises industrielles vont être fortement affectées, les territoires qui les accueillent n’en seront pas moins touchés. Les usines qui fermeront, pourraient ne jamais rouvrir, or, elles contribuent de manières essentielles au développement des territoires. Ces derniers pourraient alors entrer « en faillite » surtout s’ils n’ont pas d’autres sources alternatives de création de valeur comme peuvent parfois l’être le tourisme ou l’économie résidentielle.

Quels leviers pour la renaissance industrielle ?

Les pénuries de masques et les risques sur les principes actifs ont provoqué les premiers appels à la relocalisation et les premières décisions. Dans tous les cas, cette crise appelle à repenser nos chaînes de valeur pour assurer une meilleure sécurité des approvisionnements et rapatrier une partie de la création de la valeur à proximité des marchés. Néanmoins, au regard de l’ampleur des délocalisations, le rapatriement d’une partie des productions va se heurter à la bataille des coûts : comment relocaliser tout en restant compétitif ?

Plusieurs réponses peuvent être données à ce sujet. L’innovation et les ruptures technologiques sont une première réponse. Par exemple, les biotechnologies représentent aujourd’hui une grande partie des innovations dans le domaine de la santé et restent encore développés en majorité sur le sol européen. Elles sont un des moyens d’assurer l’indépendance de demain dans le domaine de la santé. Dès lors, l’un des enjeux va être de continuer à investir dans ces activités et aussi dans la modernisation des sites de production en France afin de ne pas reproduire le cycle « infernal » de délocalisation que nous connaissons depuis les années 1980.

Il est également possible de rechercher de nouveaux leviers de création de valeur en faisant évoluer les modèles économiques en associant des services aux produits. La crise va obliger certaines entreprises à repenser en profondeur leur offre et à sortir des schémas classiques. Au-delà des services associés qui pourront représenter la moitié de la valeur ajoutée, les chemins possibles sont nombreux : personnalisation des produits, offres innovantes en s’appuyant sur les compétences de l’écosystème (start-ups, fournisseurs, clients), etc.

Au-delà de l’offre, l’organisation et l’optimisation de la production sont également à questionner. Les technologies de l’industrie du futur offrent de nouveaux leviers pour améliorer la productivité, optimiser les opérations de maintenance ou encore optimiser les flux de production. Des réflexions peuvent également être conduites avec l’écosystème de fournisseurs : trouver des alternatives à un sourcing lointain ou rechercher un impact environnemental moindre par un approvisionnement de proximité. Les écosystèmes de fournisseurs, tel que ceux mis en place par Toyota ont démontré leur compétitivité. Cette alternative à la fragmentation des chaines de valeurs aux quatre coins du monde a souvent été écartée par des aprioris fortement ancrés et partagés en France. Or, le développement d’écosystèmes locaux de fournisseurs est un moyen d’accroître la flexibilité et la résilience des chaînes d’approvisionnement, sans nécessairement perdre en compétitivité coût. Il passe par une réflexion approfondie sur les fournitures, leur criticité, les risques et les coûts cachées qui y sont liés.

La renaissance de l’industrie repose sur des prérequis : repenser l’offre de l’entreprise (modèle économique), adapter son outil productif (flexibilité, frugalité, qualité) enfin financer ses évolutions ainsi que l’innovation. Au-delà de ce triptyque lié à l’entreprise à l’entreprise elle-même et à son projet, il est nécessaire qu’il existe une demande pour les produits Made in France. Tous les acteurs ont un rôle à jouer pour soutenir notre tissu productif : les consommateurs en essayant de privilégier les produits français, les acheteurs d’entreprises en cherchant à favoriser des approvisionnements plus locaux et les pouvoirs publics via la demande publique. Chaque échelon peut favoriser cette relocalisation des approvisionnements à son échelle : les régions auprès de leurs entreprises et notamment des ETI, l’État auprès des entreprises nationales et notamment auprès de nos fleurons. Dès lors la traçabilité des produits est une nécessité soit par l’adoption volontariste de labels tels que « Origine France Garantie » par les industriels, soit par une clarification des textes réglementaires permettant, voire imposant, une information d’origine claire et fiable.

La renaissance industrielle, un enjeu national et européen

Reproduire au plus près des lieux de consommation est également un moyen de répondre aux attentes environnementales qui orientent de plus en plus les choix de notre société. Ainsi, la renaissance de l’industrie doit s’accompagner d’un questionnement sur le modèle de société que nous souhaitons bâtir. Par exemple, le retour de l’industrie va soulever des questions sur l’acceptation du risque technologique ou orienter des arbitrages en termes de pouvoir d’achat des ménages.

Ainsi, il convient de définir la place et le rôle que nous souhaitons offrir à l’industrie dans notre pays. Pourquoi nous souhaitons nous réindustrialiser ? Pour l’emploi, certes, mais au service de quel projet de société nous mettons notre industrie ? On ne réindustrialise pas pour réindustrialiser. On réindustrialise lorsqu’on poursuit collectivement un dessein dont l’industrie est un outil. Elle est un moyen d’assurer la souveraineté économique et technologique de la France, mais elle est surtout, par sa capacité à créer des richesses et des emplois pérennes dans les territoires, un outil essentiel au service la cohésion sociale et territoriale de la France qui doit nous aider à refaire nation entre des territoires qui ont eu le sentiment d’être relégués et les métropoles que quatre décennies de tertiarisation ont sacralisé comme moteur de notre économie et de notre création de richesses.

La crise est une occasion unique de repenser nos modes de production, de distribution et de consommation, mais aussi de répartition de la richesse. Les défis qui nous attendent dans les mois et les années à venir appellent des réponses collectives, dans lesquelles s’engagera toute la famille de l’industrie. Ils requerront de mettre collectivement en mouvement notre intelligence et notre imagination, de ne pas restreindre le champ des possibles aux schémas classiques et surtout d’introduire une part d’onirisme dans des solutions qui restent à inventer.


Anaïs Voy-Gillis est docteure en géographie de l’Institut Français de Géopolitique. Ses travaux portent sur les enjeux et les déterminants de la réindustrialisation de la France. Elle travaille également au sein du cabinet June Partners et conduit des missions de conseil opérationnel auprès de clients industriels.

Olivier Lluansi est un expert reconnu dans le domaine de l’industrie. Il a commencé sa carrière à la Commission européenne, puis au Conseil Régional du Nord-Pas-de-Calais. Il a ensuite rejoint Saint-Gobain dont il a supervisé les activités en Europe centrale et orientale. Il a également été Conseiller industrie et énergie à la Présidence de la République et récemment il a mise en place l’initiative « Territoires d’industrie » lancée par le Premier Ministre. Il est aujourd’hui Associé & Strategy | PwC.

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