Alors que la France est confrontée au défi de la renaissance industrielle, elle se prive de près de la moitié des talents dont elle pourrait disposer. Comment ? En ne favorisant pas la place des femmes dans le monde de la technologie. Pascale Montrocher, Vice-présidente, Worldwide Value Engagement, Dassault Systèmes et Anne-Sophie Noel, Chairman & CEO Technical Assistant pour Dassault Systèmes, confrontent leurs visions d’un enjeu tant stratégique que sociétal !
Quel a été votre parcours personnel ?
PM : Après avoir fait Math Sup et Math Spé, puis Telecom Paris, je suis devenue ingénieure. Ce n’était pas mon choix initial, mais mon professeur de Mathématiques m’y a poussée. Dans mon école, sur les 85 élèves que comptait ma promotion, nous étions 15 filles. Toute ma carrière professionnelle a ensuite gravité autour du technique et du numérique. Je suis devenue ensuite DSI, par le métier. L’INA, Renault, Dassault Aviation puis Dassault Systèmes, j’ai toujours aimé être dans l’action, mais j’ai également presque toujours été la seule femme sur le terrain. Je ne peux pas dire que cela m’ait jamais gênée, mais ce sont les faits !
ASN : Je suis diplômée de CentraleSupélec et du Collège des Ingénieurs. En dernière année d’école d’ingénieur, j’ai choisi la spécialité cybersécurité. Je voulais m’initier à ce sujet. Je n’avais pas le profil standard. Tous les autres s’intéressaient à cette question depuis leur jeunesse. Quant à moi, j’étais curieuse. J’ai voulu me donner les moyens d’apprendre sans me soucier de l’image que je pouvais donner et prendre le risque de sortir des clichés. Dans ma classe de cybersécurité, nous étions deux femmes. Pas davantage !
Dans la tech, nous manquons de figures féminines inspirantes. – Anne-Sophie Noel, Chairman & CEO Technical Assistant, Dassault Systèmes
En 2022, en France, la proportion des femmes dans le monde de la tech a péniblement atteint 17% (selon l’étude Gender Scan 2022). Comment expliquez-vous cette faible représentation ?
PM : J’ai vécu cette réalité sur le terrain. Mais ce problème est international et ne concerne pas que la France ! En Europe du Nord, les femmes sont impliquées en politique depuis longtemps, mais dans les métiers de la tech, elles restent peu présentes. C’est le cas également aux Etats-Unis. Tous les pays de l’OCDE ou presque le constatent. L’une des explications souvent avancées serait que les femmes ont une faible appétence pour les mathématiques. Je pense que c’est faux ! Il y a encore quelques années au lycée, près de la moitié des effectifs en filière S était des filles. Dans les faits, après le bac, les femmes s’orientent davantage vers Médecine, des prépas bio… en un mot, des filières qui vont leur permettre d’avoir un impact sur la société. Je pense qu’elles n’imaginent pas (sans doute à tort !) que cela puisse être le cas en s’orientant vers les métiers du digital. Le plus étonnant, c’est qu’aux origines de l’informatique, avant l’avènement du PC, il y avait parité dans les métiers de la tech au US, en France comme en Europe. Je pense que, bien involontairement, lorsqu’IBM a lancé le PC, la communication a été majoritairement orientée vers les hommes. Et nous ne nous en sommes pas remis…
ASN : Il y a un déficit d’attractivité de ces métiers et des formations scientifiques pour les femmes, sans doute lié à un manque de représentations inspirantes dans notre imaginaire collectif. Observez les jouets pour enfants. Dès qu’il s’agit de représenter la science, les scientifiques, ils sont souvent très masculinisés. Les jeux mettant en scène des robots sont par exemple majoritairement à destination des petits garçons. C’est le poids d’un lourd héritage de nos imaginaires. C’est contre ce dernier qu’il faut lutter.
Quels sont à vos yeux, les principaux freins à lever et leviers à actionner pour encourager les femmes à suivre des formations scientifiques et/ou mathématiques, en vue d’embrasser une carrière dans la Tech ?
PM : Nous devons travailler l’attractivité des métiers de la tech pour les femmes. Il faut leur démontrer, dès le collège, dès le lycée, car c’est là que tout se joue, qu’en embrassant les carrières du digital, elles pourront en effet avoir un impact sur nos sociétés. C’est l’action de l’association First au sein de laquelle je suis engagée avec plusieurs collègues de Dassault Systèmes qui réunit des femmes ingénieures qui passent une journée dans des lycées avec des élèves filles de seconde. Nous expliquons le métier d’ingénieur, le sens que l’on peut donner aux métiers de la tech. Le rôle des enseignants est également central. Nous ne pouvons plus en rester avec ces visions caricaturales du développeur, coincé derrière son écran à manger des pizzas tout en codant. La seule femme véritablement emblématique du digital dans notre culture, c’est l’héroïne gothique de Millenium, Lizbeth Salander. Cela ne permet pas à toutes les jeunes filles de se projeter ! La culture doit mettre en scène des héroïnes de la tech inspirantes, positives, afin de faire naître des vocations.
ASN : Au-delà des programmes déployés dans les écoles ou les entreprises, il faut lever les barrières des représentations et cela peut aussi se faire au travers des œuvres de fiction. Il faudrait mettre en scène des personnages féminins dans un environnement digital, scientifique, sans que cela soit perçu comme un combat ou une originalité.
Une autre étude réalisée par le French Tech 120 révèle que seuls 13% des postes au sein des comités exécutifs sont occupés par des femmes. Pensez-vous qu’un encouragement plus volontaire à la parité pourrait amener davantage de femmes vers les métiers de la Tech ?
PM : J’ai pendant longtemps été opposée à la création de quotas, considérant que les femmes pouvaient se saisir de l’enjeu par elles-mêmes. Mais face à l’immobilisme ambiant, je pense qu’il faut maintenant en imposer. Le système est clairement verrouillé. En politique, les choses n’ont réellement bougé que lorsque la parité a été imposée. C’est au régulateur qu’il revient de briser le plafond de verre. Plus les incitations seront fortes, plus les femmes seront présentes, plus les vocations naîtront chez les plus jeunes.
ASN : Dassault Systèmes fait bien mieux en termes de représentation féminine car au sein de notre comité exécutif il y a 38% de femmes ! Les entreprises et plus encore la société dans son ensemble doivent mettre en place un environnement qui ne défavorise personne. Il ne faut pas tant encourager les femmes que ne pas les décourager ! Par exemple en fixant des bonnes pratiques et des schémas organisationnels qui n’excluent personne.
On ne peut pas envisager le monde de demain en se privant des apports de la moitié de l’humanité – Pascale Montrocher, WW Value Engagement, Vice President, Dassault Systèmes
Comment décririez-vous les apports des femmes dans cet univers encore majoritairement masculin ?
PM : Je ne pense pas que la question se pose en ces termes. Je crois d’abord à la richesse de la mixité et à la pluralité des apports des uns et des autres. Mais, au-delà des questions sociétales profondes, la surreprésentation masculine dans le monde de la tech est un problème majeur. Alors que l’intelligence artificielle explose, les codeurs sont majoritairement des hommes et ils impriment involontairement leurs schémas de pensée à leurs algorithmes. On ne peut pas envisager le monde de demain en se privant des apports de la moitié de l’humanité. Imaginez une entreprise qui développerait un nouveau produit qui ne concernerait que la moitié de ses clients. Tout s’effondrerait ! Il faut réagir, dès aujourd’hui.
ASN : À mes yeux, la mixité des profils, des parcours de vie, des âges, des personnalités, crée une émulation positive. Nous avons tous en nous la capacité d’apporter une valeur ajoutée à l’entreprise, par nos différences. Laisser chacun s’exprimer, s’investir, se révéler, c’est cela l’essentiel. Ne s’interroger que sur la place des femmes dans la tech, c’est finalement une approche un peu simpliste et en tous cas, réductrice.
Découvrez-en plus sur l’action de Dassault Systèmes en faveur de l’inclusion et de la diversité
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